(Répétition chiffre, § 14)

* De commis de cuisine à chef des chefs d'Etat

* Bernard Vaussion connaît toutes les manies de six présidents

* Pas de femme en cuisine, avait décrété Bernadette Chirac

PARIS, 31 octobre (Reuters) - L'autre chef de l'Etat français a dit adieu jeudi au Palais de l'Elysée et à sa brigade de 20 cuisiniers après 40 ans derrière les fourneaux de la présidence de la République française.

Entré dans les 500m2 des cuisines élyséennes comme commis après avoir travaillé dans des ambassades, Bernard Vaussion a gravi tous les échelons pour devenir chef il y a neuf ans.

Il a servi six présidents français, de Georges Pompidou à François Hollande en passant par Nicolas Sarkozy, y compris sur leurs lieux de vacances, et nourri un nombre incalculable de grands de ce monde dans un quasi anonymat qu'il ne brise qu'aujourd'hui, à l'heure de la retraite, à 60 ans.

La mère de cet homme au visage ouvert, crâne dégarni et lunettes d'intellectuel, né le 24 octobre 1953 à la Ferté-Saint-Aubin (Loiret) et titulaire d'un CAP de pâtisserie, était elle-même cuisinière dans un château de Sologne.

"Je suis passé d'un château l'autre !" ironise Bernard Vaussion, qui connaît non seulement les manies des six présidents pour lesquels il a officié mais aussi de leurs épouses et de certains de leurs illustres invités.

"C'est toujours le chef de l'Etat ou sa compagne ou épouse qui choisit les menus", rappelle-t-il. "Mme Chirac était un peu plus impliquée, elle venait directement en cuisine."

Impliquée au point que Bernadette Chirac avait interdit les femmes dans les cuisines de l'Elysée !

N'en déplaise à des chefs d'Etat qui affichaient une relative indifférence aux nourritures terrestres, "ils sont tous gourmands", dénonce gentiment Bernard Vaussion.

Jacques Chirac avait certes "un appétit un peu plus développé". Mais avec Nicolas Sarkozy, qui avait supprimé le fromage, les assiettes revenaient vides ! Quant à François Hollande, qui a rétabli le fromage, "c'est quelqu'un qui aime manger" et "il n'y a pas grand-chose qu'il n'aime pas".

L'actuel chef de l'Etat, qui avait impressionné par sa perte de poids avant la campagne présidentielle mais a regagné les kilos perdus depuis, n'a "pas de demande de régime spécifique".

ERREUR INTERDITE

Bernard Vaussion a appris à ne pas révéler les plats préférés des présidents français pour éviter qu'on leur en serve à tous les déplacements, comme ce fut un temps le cas de la tête de veau pour Jacques Chirac.

Homme de l'ombre, il n'y a cependant guère que sur les lieux de vacances des chefs d'Etat qu'il partageait un semblant d'intimité avec eux.

Au Fort de Brégançon, villégiature présidentielle sur la côte varoise, il se souvient avoir croisé au petit déjeuner Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy, lui, allait faire un football avec des cuisiniers.

Mais Bernard Vaussion se souvient aussi de la pression qui pesait sur ses épaules, en particulier lors des dîners d'Etat à l'Elysée - "Entre 200 et 250 personnes qu'on doit servir en une heure environ (...) La nuit qui précède est quasiment blanche."

"Ces gens-là ne comprendraient pas qu'il y ait des erreurs", souligne-t-il. "Au restaurant, s'il y a une erreur, le client ne revient pas. Ici, c'est moi qui serait prié de partir."

La cuisine a évolué plus vite que la parité homme-femme : depuis une quinzaine d'année, elle est plus légère, recourt moins aux plats en sauce et plus à la cuisson à la vapeur. Il a fallu également tenir compte des contraintes économiques.

"Les économies sont bien réelles. On achète différemment. Des produits de luxe ont disparu, comme la truffe, la langouste."

Bernard Vaussion, qui a pris un verre mardi soir avec son équipe, sa famille et des amis, part avec un pincement au coeur.

"François Hollande est venu me saluer. Il a dit des éloges. Son côté humain est ressorti", raconte-t-il.

Il sera remplacé par son adjoint, Guillaume Gomez, 35 ans, qui est pour sa part depuis 17 ans à l'Elysée. (Emmanuel Jarry avec pool, édité par Yves Clarisse)