* Un remaniement pour remédier à l'usure du gouvernement ?

* Faute de mieux, Hollande pourrait devoir sacrifier son joker

* Les pro-remaniement estiment qu'il doit agir avant l'été

* Les anti préfèrent garder cette cartouche pour 2014 (Avec déclaration Ayrault)

par Emmanuel Jarry

PARIS, 4 avril (Reuters) - François Hollande ne semble plus guère avoir dans sa boîte à outils qu'un remaniement gouvernemental pour tenter d'enrayer par un choc psychologique la crise de défiance dans laquelle l'affaire Cahuzac a achevé de plonger l'exécutif français.

Mais des analystes et des membres de la majorité mettent en garde le président français contre une mesure qui n'aurait selon eux qu'un impact très limité sur l'opinion et le priverait d'une "cartouche" utile pour plus tard, à mi-quinquennat.

"On n'a jamais vu un remaniement remonter une cote de popularité", souligne ainsi Frédéric Dabi, de l'institut de sondage Ifop, pour qui la situation économique et le chômage pèseront beaucoup plus que la mise en examen de l'ex-ministre du budget Jérôme Cahuzac pour blanchiment de fraude fiscale.

Un avis partagé par Gaël Sliman, de BVA, pour qui l'affaire Jérôme Cahuzac, qui a admis avoir un compte à l'étranger depuis 20 ans, "n'est qu'une mauvaise cerise sur un mauvais gâteau" et selon qui un remaniement rapide serait un "mauvais choix".

Toutefois, ajoute cet analyste, "François Hollande peut subir une pression médiatique telle qu'il se sente contraint de griller son seul joker et estime ne pas avoir le choix".

Officiellement, les proches du président et du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, assurent qu'un tel remaniement, jusqu'ici envisagé plutôt pour 2014, n'est pas d'actualité.

"Travaillons d'abord à ce que nous avons à faire avant de spéculer", a dit le chef du gouvernement jeudi en marge d'une visite dans un centre d'hébergement parisien.

Mais "le climat est très mauvais et cette solution aurait du sens", admet un proche de François Hollande.

L'opposition n'est pas seule à réclamer un remaniement gouvernemental, alors que les aveux de Jérôme Cahuzac ont jeté l'ombre du soupçon sur tout l'exécutif.

De confidences de ministres en commentaires d'élus et de membres de cabinets ministériels, ce scénario semble prendre corps, même s'il est probable que le président prendra son temps pour peser le pour et le contre.

UN GOUVERNEMENT DIMINUÉ ?

"Il va regarder l'évolution des enquêtes d'opinion et voir si ça a tendance au moins à ce calmer", estime Pascal Perrineau, du centre de recherche de l'Institut de sciences politiques de Paris. "Mais au bout d'un moment, il n'y aura plus le choix."

Pour les tenants d'un remaniement à chaud, la fenêtre de tir est étroite - avant l'été, disent-ils.

"François Hollande n'aura pas la paix tant qu'il n'aura pas remanié. Et je ne le vois pas tenir comme ça jusqu'à l'automne", confie un conseiller, qui plaide pour un gouvernement resserré.

"Il faut faire entrer des poids lourds, un gouvernement d'une quinzaine de ministres et quelques secrétaires d'Etat", renchérit un député socialiste.

Pour la candidate socialiste à la mairie de Paris, Anne Hidalgo, "il faudra bien sûr se poser la question - peut être pas à chaud, là maintenant - d'une autre donne", afin de renouer un "lien de confiance" avec l'opinion publique.

Selon un sondage Harris Interactive, les trois-quarts des Français estiment que l'affaire Cahuzac a un impact négatif sur leur confiance envers les responsables politiques et six sur dix jugent que le pouvoir l'a mal gérée.

La question est surtout de savoir si le gouvernement actuel est encore en état de gouverner, alors que le plus dur est à venir, avec l'atonie de l'économie, la montée du chômage et des négociations délicates avec l'Union européenne sur la réduction des déficits publics français.

"Le gouvernement a de multiples dossiers très importants devant lui. On ne peut pas avoir un gouvernement et un président diminués pendant un an", souligne Pascal Perrineau.

MOSCOVICI, TALON D'ACHILLE ?

"Il y a une fragilité, c'est le ministre de l'Economie" souligne pour sa part un député socialiste, pourtant hostile par principe à un remaniement : "Est-ce qu'il peut démontrer qu'il a eu un rôle tout à fait neutre (dans l'affaire Cahuzac) ?"

L'UMP ne s'y est pas trompée, qui a pris pour cible Pierre Moscovici, accusé par les dirigeants du principal parti de droite de n'avoir pas fait ce qu'il fallait pour faire éclater la vérité sur les comptes étrangers de Jérôme Cahuzac.

Les mensonges de l'ex-ministre du Budget sur ses comptes ne constituent cependant qu'un des multiples dysfonctionnements d'un gouvernement qui montre des signes d'usure avancée après seulement 11 mois d'existence.

"Il y a eu des problèmes de fonctionnement du gouvernement bien avant l'affaire Cahuzac, une accumulation de couacs, des ministres pas à la hauteur", souligne Pascal Perrineau. "C'est peut-être l'occasion de répondre à tous ces problèmes."

Mais face à une accumulation de crises - économique, sociale, politique, morale - un remaniement devra s'accompagner de "signaux forts" en direction de l'opinion, ajoute-t-il.

"De multiples indicateurs montrent que l'on entre dans une situation périlleuse pour l'exécutif. On sent bien que l'opinion est très inquiète et même que l'inquiétude est en train de déboucher sur de la colère. Il faut une parade à la hauteur."

Le débat entre partisans et opposants à un remaniement rapide semble en tout cas engagé au sein même de la majorité.

Du côté des opposants, le patron des députés socialistes, Bruno Le Roux, estime qu'"il faut éviter tout ce qui pourrait apparaître comme une échappatoire ou une diversion".

"Rentrer dans un jeu de chaises musicales, il y a toujours des gens qui croient y voir un intérêt", renchérit le député PS Olivier Faure, proche de Jean-Marc Ayrault. "Ça ne donne aucune réponse aux questions de fond que se posent les Français."

Pour son collègue Christophe Caresche, le chef de l'Etat a tout intérêt à garder le gouvernement actuel le plus longtemps possible, au moins jusqu'aux élections municipales de 2014.

"Un nouveau gouvernement serait confronté aux mêmes problèmes et susciterait les mêmes mécontentements", dit-il avant de paraphraser le slogan de campagne du chef de l'Etat : "L'impopularité, c'est maintenant. On n'est pas du tout dans le moment de la relance politique." (Avec Elizabeth Pineau et Emile Picy, édité par Yves Clarisse)