(Actualisé, Obama a parlé à Poutine, pas de détails, § 3)

par Lidia Kelly et Alessandra Prentice

MOSCOU, 12 juillet (Reuters) - Edward Snowden, poursuivi pour espionnage par les Etats-Unis, va demander ce vendredi l'asile provisoire à la Russie où il est actuellement bloqué, disent des organisations de défense des droits de l'homme qui l'ont rencontré à Moscou.

"Je soumettrai ma demande dans la journée et j'espère qu'elle sera acceptée favorablement", a dit l'informaticien américain, à l'origine de révélations sur l'étendue du programme de surveillance exercé par les Etats-Unis à travers le monde, selon le site internet WikiLeaks qui l'aide dans ses démarches.

Le gouvernement américain a fait savoir que le président Barack Obama s'était entretenu par téléphone avec son homologue russe Vladimir Poutine mais n'a donné aucune précision sur la conversation.

Le département d'Etat s'est dit déçu que la Russie ait facilité cette rencontre entre Snowden et les organisations de défense des droits de l'homme. Sa porte-parole, Jen Psaki, a souligné que si Moscou accordait l'asile à Snowden, "il ne fait aucun doute que cela suscitera des inquiétudes" pour les relations entre les Etats-Unis et la Russie.

Le Kremlin n'a pas confirmé avoir reçu une demande formelle d'asile et il a répété qu'Edward Snowden devrait s'abstenir de critiques contre Washington s'il souhaitait rester en Russie.

D'après Viatcheslav Nikonov, un député proche du pouvoir qui participait à cette réunion fermée aux médias, Edward Snowden a bien entendu le message.

"Je lui ai demandé s'il était prêt à renoncer à son activité politique contre les Etats-Unis. Il a dit: 'Certainement, oui, toute cette activité appartient au passé'," a dit l'élu.

Après la réunion, les responsables proches du Kremlin se sont succédé devant la presse pour présenter l'informaticien américain comme un militant des droits civiques qui doit être protégé car il pourrait être inculpé d'espionnage aux Etats-Unis, un crime passible de la peine de mort.

"Il y a un grand risque qu'Edward Snowden risque cette peine extrême", a dit à la télévision Sergueï Narichkine, président de la Douma d'Etat. "Nous ne pouvons pas permettre cela."

"A ma connaissance, il se considère lui-même comme un défenseur des droits de l'homme et des idéaux démocratiques", a relevé le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov.

VERS L'AMERIQUE LATINE ?

Les défenseurs des droits de l'homme qui l'ont vu à l'aéroport de Moscou-Cheremetievo, où il est bloqué depuis le 23 juin dans la zone de transit, ont déclaré qu'Edward Snowden comptait bien se rendre à terme en Amérique latine, même s'ils n'ont pas précisé ni quand ni comment.

"Il veut aller en Amérique latine - il l'a dit très clairement. Mais la seule manière pour lui de garantir sa sécurité en Russie est de déposer une demande formelle d'asile", a expliqué Tania Lokchina, membre de Human Rights Watch, l'une des organisations invitées à la réunion.

Les autorités russes ont montré des signes croissants d'impatience face au séjour prolongé d'Edward Snowden, mais il est difficile pour l'informaticien, pour des raisons de procédure, de rejoindre l'un des pays - Bolivie, Nicaragua, Venezuela - qui lui ont proposé l'asile politique.

Une photo de la réunion prise par un participant a circulé sur internet. Le jeune trentenaire, visiblement en bonne santé, y apparaît en costume gris assis à une table, flanqué de son conseil juridique Sarah Harrison, membre de WikiLeaks.

"Il y a un peu plus d'un mois, j'avais une famille, une maison au paradis", a-t-il dit, rappelant son départ de Hawaï, où il travaillait pour un sous-traitant de la NSA (National Security Agency), en direction de Hong Kong.

"J'avais aussi la capacité, sans aucun mandat, de rechercher, de saisir et de lire vos communications. Les communications de quiconque, à n'importe quel moment."

LE MERCOSUR DÉFEND LE DROIT D'ASILE

Dans une lettre adressée à Human Rights Watch (HRW), l'une des ONG conviées, Edward Snowden affirme que les Etats-Unis, qui ont révoqué son passeport, mènent campagne pour l'empêcher d'obtenir l'asile politique où que ce soit.

"Ces dernières semaines, nous avons assisté à une campagne illégale de la part de responsables du gouvernement des Etats-Unis, afin de nier mon droit à rechercher et bénéficier du droit d'asile au bénéfice de l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme", écrit-il.

Edward Snowden fait notamment allusion à une escale forcée à Vienne de l'avion du président bolivien, Evo Morales.

L'appareil a dû se poser dans la capitale autrichienne lorsque la France et le Portugal lui ont interdit d'emprunter leur espace aérien après des rumeurs selon lesquelles l'informaticien se trouvait à bord. (voir )

"L'ampleur des menaces est sans précédent", estime Edward Snowden dans son courrier à HRW, publié par l'ONG sur le réseau social Facebook. "Jamais dans l'Histoire, les Etats n'ont comploté pour forcer à atterrir l'avion d'un président souverain pour rechercher un réfugié politique."

"Cette dangereuse escalade représente non seulement une menace envers la dignité de l'Amérique latine ou ma propre sécurité, mais aussi pour le droit de chacun à échapper à toute persécution", ajoute-t-il.

A l'issue d'un sommet à Montevideo, les dirigeants des pays du Mercosur, le bloc économique qui réunit le Venezuela, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay, ont condamné vendredi la "violation des droits de l'homme" que constituent l'espionnage d'internet et les écoutes téléphoniques. Ils ont également réaffirmé que le droit d'asile était "un droit fondamental".

A Genève, Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, a également appelé tous les pays à respecter le droit d'asile et a mis en garde contre une surveillance indue des communications privées.

"Si des inquiétudes pour la sécurité nationale ou face à des activités criminelles peuvent justifier des mesures de surveillance exceptionnelles, il faut néanmoins des garde-fous pour protéger le droit à la vie privée car sinon ce sont les droits de l'homme et les libertés fondamentales qui sont en cause", a déclaré la diplomate sud-africaine. (Bertrand Boucey, Julien Dury, Jean-Stéphane Brosse et Guy Kerivel pour le service français)