* Marine Le Pen veut accréditer l'idée d'une "surprise" en France

* La droite et la gauche se retrouvent sur la défensive

* Un clivage entre gagnants et perdants de la mondialisation

par Emmanuel Jarry

PARIS, 9 novembre (Reuters) - L'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis fait en France le jeu de la présidente du Front national, Marine Le Pen, et place sur la défensive les autres forces politiques à moins de six mois de la présidentielle de 2017.

Les dirigeants du parti d'extrême droite ont été les seuls à soutenir ouvertement le populiste et fantasque milliardaire et les premiers, mercredi, à applaudir bruyamment sa victoire.

"L'information principale, pour nous Français aujourd'hui, c'est que Mme Le Pen peut gagner en France", a résumé sur RTL l'ancien Premier ministre Les Républicains Jean-Pierre Raffarin.

Les analystes politiques interrogés par Reuters se montrent plus nuancés mais admettent l'existence d'un effet Trump.

"Je ne suis pas sûr que ça ait un effet immédiat sur l'opinion mais ça peut être utilisé par les dirigeants du FN", estime ainsi François Miquet-Marty, de l'institut Viavoice.

Le FN peut dire "notre tour va venir", renchérit Frédéric Dabi, de l'institut Ifop. "Ça amène de l'eau à leur moulin."

Marine Le Pen est donnée systématiquement qualifiée pour le second tour de la présidentielle par les sondages. Mais le FN paraissait jusqu'ici incapable de le remporter.

L'élection américaine "montre qu'aucun système démocratique n'est à l'abri d'une surprise", souligne le politologue Pascal Perrineau, pour qui cela ne veut pas dire pour autant "que cela transforme complètement les rapports de forces."

Les analystes se raccrochent à la spécificité du système français de suffrage universel à deux tours, moins brutal que le système américain, et au fait que Donald Trump était le candidat d'un grand parti traditionnel, le Parti républicain, ce qui n'est pas le cas en France de Marine Le Pen.

MONTÉE DES POPULISMES

Ils n'en lancent pas moins une mise en garde contre la tentation de considérer les jeux faits, au vu de sondages qui font du maire de Bordeaux, Alain Juppé, le favori de la primaire à droite et, partant, de la présidentielle.

"Beaucoup de gens font comme si Alain Juppé allait être le prochain président de la République. Et ça c'est exaspérant, parce que c'est perçu comme un verrouillage de la démocratie", estime François Miquet-Marty. "Il y a l'idée qu'il est enfin temps de reprendre le pouvoir face à des scénarios établis."

Une idée dont Marine Le Pen entend de toute évidence jouer : elle a estimé que la victoire de Donald Trump était celle de la "liberté de citoyens" face à une campagne de "dénigrement" et à des tentatives de "conditionnement de l'opinion".

L'élection américaine s'inscrit dans un contexte général de montée des populismes, qui pèse sur la campagne présidentielle française, à commencer par la primaire à droite.

"Il y a des leçons à tirer aussi pour la vie politique française. Je ne veux pas que la France s'engage dans la voie de l'extrémisme et de la démagogie (...) C'est pourquoi plus que jamais je veux rassembler", a ainsi déclaré Alain Juppé.

Mais pour Philippe Cossalter, professeur de droit public, la victoire de Donald Trump risque surtout de conforter en France la droite la plus dure. Le principal rival d'Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, lui a donné raison en jugeant que le message du peuple américain devait "être entendu".

"Ma conviction, c'est qu'il n'y aura pas de place pour l'impuissance, pour la faiblesse et pour le renoncement", a ajouté l'ex-chef de l'Etat, qui a promis à la manière de Donald Trump "maîtrise de l'immigration" et "respect des frontières".

"COLÈRE POPULAIRE"

La gauche en voie d'implosion et dont les dirigeants multiplient jusqu'ici en vain les appels à l'unité, est, elle, plus que jamais "le dos au mur", estime Pascal Perrineau.

"La gauche est prévenue! Continuons nos enfantillages irresponsables et ça sera Marine Le Pen", a déclaré le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadelis, sur Twitter.

Les analystes voient cependant dans la montée du populisme en Europe et aux Etats-Unis l'expression d'un clivage entre gagnants et perdants de la mondialisation, qui prend de plus en plus le pas sur les clivages gauche-droite traditionnels.

"On voit comment Marine Le Pen joue sur le rejet de l'Union européenne, le rejet du système, et tente d'articuler la colère d'une partie du peuple français", dit Pascal Perrineau.

La même "colère populaire" s'est exprimée aux Etats-Unis contre la "représentante du système" Hillary Clinton, en Grande-Bretagne en juin contre l'UE, avec le Brexit, ou avec la montée de l'extrême droite en Allemagne et en Autriche, souligne-t-il.

C'est aussi sur ce clivage et ce besoin de renouvellement que tentent de surfer, à gauche, l'ex-ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, et, à l'extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, candidat de la "France insoumise" à la présidentielle de 2017.

"Cette élection montre que rien n'est jamais écrit à l'avance" et "me paraît être l'expression d'un rejet du système profond et sous-estimé", a déclaré Emmanuel Macron, pour qui ce rejet rend impossible le statu quo en France.

Jean-Luc Mélenchon voit dans la défaite de la démocrate Hillary Clinton la justification de son refus de participer à des primaires à gauche, "machine à museler l'énergie populaire".

Pascal Perrineau doute cependant que le choc de l'élection américaine profite à l'un comme à l'autre : "Macron est le candidat de la mondialisation heureuse (...) Est-ce que les candidats de la mondialisation heureuse peuvent prétendre dégager une majorité ? Ça semble assez difficile." (Avec Michel Rose et service France, édité par Sophie Louet)