(Actualisé avec communiqué du Conseil constitutionnel)

PARIS, 25 janvier (Reuters) - Le Conseil constitutionnel a censuré jeudi une large part de la loi relative à l'immigration, estimant que plusieurs articles contestés, tel celui sur la limitation du regroupement familial, contrevenaient à la Constitution sur le fond comme sur la forme.

Dans un communiqué, les Sages précisent avoir censuré "partiellement ou totalement" 32 articles comme "cavaliers législatifs", c'est-à-dire sans liens suffisants avec le texte initial.

Le Conseil constitutionnel ajoute censurer "au fond, partiellement ou totalement" trois des articles et assortir de réserves d'interprétation deux autres articles.

Dix articles sont déclarés partiellement ou totalement conformes.

L'instance avait été saisie fin décembre par le président de la République, Emmanuel Macron, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et par des députés et sénateurs de gauche à la suite d'un débat sous haute tension qui avait fracturé la majorité et conduit à la démission d'un ministre, Aurélien Rousseau (Santé).

Le texte avait été durci par le Sénat, où la droite est majoritaire, après son rejet à l'Assemblée nationale, consécutif à l'adoption d'une motion de rejet préalable.

Ce sont 86 articles - sur 27 au départ - qui avaient été finalement retenus par une commission mixte paritaire et définitivement votés le 19 décembre par le Parlement.

Des articles empruntant, selon leurs nombreux détracteurs, aux thématiques de la "préférence nationale" de l'extrême droite (Rassemblement national, RN) et de la droite conservatrice (Les Républicains, LR), comme le durcissement du regroupement familial (articles 3,4,5,6,8) et de l'accès aux prestations sociales pour les étrangers en situation régulière ne venant pas de l'Union européenne (article 19).

Ces dispositions, parmi les plus critiquées, sont censurées par le Conseil constitutionnel.

Pour bénéficier d'un premier titre de séjour, les étudiants étrangers devaient aux termes de la loi acquitter une caution "retour", dont le montant devait être fixé par décret.

Cette mesure, qui avait également fait bondir jusque dans les rangs de la majorité, est aussi censurée.

"Les articles 11, 12 et 13 relatifs, d'une part, à certaines conditions de délivrance d'un titre de séjour pour motif d'études et, d'autre part, aux frais d'inscription des étudiants étrangers dans certains établissements d'enseignement supérieur" sont censurés.

Le rétablissement du délit de séjour irrégulier (article 17) est également censuré par les juges de la rue Montpensier.

L'article 67 modifiant les conditions d'hébergement d'urgence de certaines catégories de personnes sans abri ou en détresse est également jugé inconstitutionnel.

L'article 38 autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d'un étranger sans son consentement est écarté.

L'introduction de quotas migratoires annuels (article 1) est également partiellement remise en cause.

Les orientations pluriannuelles de la politique d'immigration et d'intégration française devaient faire l'objet, selon le texte, d'un débat annuel au Parlement appelé à décider pour trois ans du nombre d'étrangers admis à s'installer en France (hors asile).

Le Conseil constitutionnel "juge qu'il ne résulte ni de l'article 48 de la Constitution ni d'aucune autre exigence constitutionnelle que le législateur peut imposer au Parlement l'organisation d'un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d'immigration".

Ne demeure donc de cet article que la remise d'un rapport destiné à assurer l'information du Parlement.

Le Conseil constitutionnel valide en revanche l'article 46 qui prévoit qu'un étranger demandant l'octroi d'un titre de séjour doit s'engager "à respecter les principes de la République".

La lourde censure des "Sages" n'est pas une surprise, l'exécutif ayant lui-même anticipé une inconstitutionnalité partielle.

"Des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution", avait ainsi admis le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à l'Assemblée nationale le 19 décembre.

Le 16 janvier, lors d'une conférence de presse, Emmanuel Macron n'avait pas exclu que le texte soit "corrigé de ses censures éventuelles".

Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, avait rappelé non sans irritation le 8 janvier, lors de ses voeux au chef de l'Etat, que l'instance n'était pas "une chambre d'appel des choix du Parlement". (Reportage Tassilo Hummel, rédigé par Sophie Louet, édité par Nicolas Delame)