par Richard Balmforth

NOVI PETRIVTSI, Ukraine, 23 février (Reuters) - Une immense propriété boisée parsemée de résidences d'été et de cours d'eau, dont la superficie représente la moitié de la principauté de Monaco mais qui s'étend à une heure de route de Kiev : ainsi se présente le symbole de la folie des grandeurs du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, destitué samedi par les députés et parti dans l'est du pays.

Même les Ukrainiens les plus cyniques, qui ont afflué samedi pour découvrir la luxueuse propriété de Ianoukovitch, n'en croyaient pas leurs yeux.

Dans le parc de la propriété évoluaient des autruches, des lièvres surpris par cette foule inhabituelle. Des cerfs, des boucs ou des sangliers erraient aussi dans leurs enclos. Tout cela dans un pays où le salaire mensuel moyen est inférieur à 500 dollars.

Viktor Ianoukovitch, âgé de 63 ans, venait se détendre ici les week-ends, derrière de hauts murs le long desquels patrouillaient en nombre les agents de sécurité.

Lorsque le rêve a pris fin pour Ianoukovitch et que le personnel a déserté cette villa à la Gatsby aux premières heures de samedi, les leaders du mouvement de protestation de Kiev ont invité les Ukrainiens à venir se rendre compte du train de vie que menait leur président.

Ils ont afflué par milliers, à pied ou en voiture, dans cette propriété de 140 hectares où Ianoukovitch avait, au début de sa présidence, en 2010, acheté une petite résidence. Par la suite, selon les médias ukrainiens, il avait pris le contrôle de la totalité du domaine, via une chaîne d'entreprises auxquelles il était étroitement lié.

Rares étaient ceux, en dehors du premier cercle présidentiel, qui avaient visité ce domaine où les photos satellites révèlent la présence d'une piste pour hélicoptère et d'un parcours de golf.

STATUES GRECO-ROMAINES

Lorsque le président Ianoukovitch organisait un événement dans le domaine, le nombre d'agents de sécurité et autres agents de service mobilisés pouvait atteindre les 3.000, déclarent des habitants.

Comme le chef de l'Etat était obnubilé par la sécurité et redoutait un attentat, les agents devaient laisser leurs téléphones portables à l'entrée du domaine, où ils les reprenaient en partant, ajoutent ces habitants.

Au fil des années, des journalistes ont souvent cherché à tromper le cordon de sécurité, ce qui eut parfois des conséquences malheureuses.

La journaliste Tetiana Tchernovil avait réussi l'année dernière à s'introduire à l'intérieur du domaine. Bien qu'elle ait pu en sortir sans encombre, elle fut sérieusement passée à tabac quelques mois plus tard.

"C'est un monument dédié à un tyran, que nous souhaitons montrer à la population", a expliqué Edouard Leonov, un député membre du parti nationaliste Svoboda.

Des statues de style gréco-romain - une déesse, des amants enlacés - ornent les pelouses. Des colonnes d'eau jaillissent des bassins d'ornement, à demi gelés samedi.

Le domaine compte aussi des bains russes, et, au sommet d'une colline qui domine le Dniepr, un lieu a été aménagé pour faire des barbecues.

Viktor Ianoukovitch disposait là de tout un cheptel: vaches, moutons, chèvres que l'on pouvait apercevoir, samedi, à travers la fenêtre d'un vaste enclos à bétail dont le personnel refusait d'ouvrir les portes. Plus loin, c'est une serre de 3.500 mètres carrés où sont cultivés des légumes.

Le propriétaire des lieux semblait affectionner également les arbres. Devant un spécimen planté depuis peu entre deux statues gréco-romaines, un écriteau signale qu'il peut atteindre l'âge de 300 ans.

(Eric Faye pour le service français)