par Mariam Karouny

ZAÏTA, Syrie, 13 mars (Reuters) - Chiites et sunnites il y a quelques années vivaient en bonne intelligence dans le village de Sakardja, niché au creux d'une région frontalière où la contrebande avec le Liban, tout proche, faisait partie des usages.

Le tracé incertain séparant les deux pays était un sujet de tolérance, tout comme l'étaient les clivages entre communautés nationales et groupes ethniques.

L'endroit est désormais l'un des plus dangereux de Syrie, théâtre de combats acharnés entre les sunnites qui forment la colonne vertébrale de l'insurrection et les chiites qui soutiennent la minorité alaouite de Bachar al Assad.

Pour les rebelles, le contrôle de cette région qui s'ouvre sur la plaine de la Bekaa, dans le nord du Liban, est d'une importance cruciale dans le conflit.

C'est le long de cet axe reliant Homs, centre stratégique de l'opposition à Assad, et des régions sous domination sunnite au Liban que s'accomplit l'acheminement des armes au profit de l'insurrection. Pour les chiites, l'enjeu est d'empêcher la chute des villages situés sur ce tracé.

Les insurgés affirment que le Hezbollah, très influent au Liban, a envoyé des combattants pour appuyer l'armée d'Assad et estiment à 30.000 le nombre de ressortissants libanais qui participeraient aux combats dans une bonne vingtaine de villages où les chiites sont majoritaires.

Les habitants de Taher et de trois autres villages alaouites racontent une histoire fort différente et affirment que les rebelles sunnites intimident, expulsent et tuent des chiites dans la région proche de Homs.

"Nous étions voisins, on a vécu ensemble pendant des années", se souvient une femme qui a été déplacée dans un village voisin. "Ils nous ont envoyé un message, disant que nous étions chiites et que nous n'avions pas le droit de posséder la terre ou une maison ou quoi que ce soit, et nous ordonnant de partir. Ils ont brûlé la maison et ont pris nos vaches".

Dans le village de Zaya, des portraits du président Assad ornent toujours les murs des salles de classe et les bureaux des bâtiments publics.

ACHAT D'ARMES

Les habitants racontent qu'ils se sont armés et ont constitué des "Comités populaires" pour se défendre contre les rebelles animés, selon eux, par une vision intégriste de l'islam.

"L'armée syrienne a d'autres priorités que ces petits villages, du coup, les gens ont vendu leur terre et leur bétail pour acheter des armes", dit Abou Hussein, chef régional des Comités populaires.

"La plupart des gens ici ont des proches au Liban qui ont proposé de nous aider mais nous avons refusé. Pour l'instant, nous avons été en mesure de repousser les attaques et on n'a pas besoin d'aide", explique-t-il.

Cette intervention du Hezbollah, groupe rompu aux techniques de la guerre, est un atout d'importance pour Assad et un handicap pour les rebelles. Le groupe libanais a réussi à repousser l'armée israélienne lors d'une guerre qui a duré un peu plus d'un mois en 2006.

Selon Abou Hussein, le Hezbollah ne soutient pas les pro-Assad, ni formellement, ni en secret. Mais, ajoute-t-il, il ne peut pas "empêcher ses partisans ou ceux qui dans ses rangs se défendent et protègent leurs terres et leurs possessions".

LA TERRE ET LA MAISON

Le chef du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, tient le même discours : aucun combattant n'a été envoyé en Syrie mais des combattants vivent dans les villages frontaliers.

"Ils ont pris les armes et en ont acheté. Nous avions l'habitude de leur envoyer des rations alimentaires comme nous le faisons pour d'autres personnes et ils vendaient les rations pour acheter des armes", a-t-il expliqué. "Je ne peux pas les empêcher de rester pour se battre".

Les insurgés contrôlent les localités de Koussair, Sakardja et d'autres villages dans la povince de Homs.

Dans ce morcellement territorial, la ville d'Hermel en territoire libanais est devenue un point d'ancrage essentiel pour le village chiite de Zayta et ceux des alentours. Les habitants ont 15 minutes de trajet en voiture pour aller se ravitailler au Liban en produits de première nécessité.

L'apparition des Comités populaires a eu pour première conséquence de faire cesser les enlèvements de jeunes hommes auxquels se livraient les rebelles dans certains villages.

Désormais, la plupart des hommes âgés de 18 à 50 ans sont armés et ont rejoint des organisations locales de défense.

Le principal reproche adressé à l'Armée libre syrienne est la confiscation des terres.

"On se bat pour notre terre", affirme un jeune Syrien portant une tenue de camouflage et une Kalachnikov. "Nous ne nous battons pas pour qu'Assad reste président. Ça, c'est juste un détail. L'essentiel pour moi, ce sont ma terre et ma maison". (Pierre Sérisier pour le service français, édité par Gilles Trequesser)