Dans cet article : 

  • Galderma a réussi son IPO à la Bourse de Zurich, après avoir été galvanisé par son passage chez EQT
  • Galderma offre un profil de pure player de la dermatologie, à la fois thérapeutique et esthétique
  • Sa valorisation élevée est justifiée par un positionnement unique et une trajectoire de croissance bien ancrée
  • Deux atouts peuvent accélérer le développement : le Nemolizumab et le marché de la compensation esthétique des traitements anti-obésité

Galderma est née en 1981 du curieux attelage entre Nestlé et L'Oréal. Les deux groupes avaient des liens capitalistiques depuis 1974, lorsque la famille Bettencourt, par crainte d'une nationalisation ou d'un rachat, était allée frapper à la porte du géant de Vevey. Mais la naissance de Galderma procède plutôt des velléités de diversification du duo. A la fin des années 1970, L'Oréal s'intéresse à la dermatologie et Nestlé aussi, mais chacun de leur côté. En 1981, les deux groupes vont décider de mettre en commun CIRD pour L'Oréal et Owen Laboratory pour Nestlé, créant Galderma. En 2014, le Suisse rachète les parts du français sur la base d'une valeur d'entreprise de 3,1 Mds€, car il a toujours des ambitions dans le soin de la peau. Galderma est alors la pierre angulaire de Nestlé Skin Health, une division créée dans le cadre de la tentative d'élargissement des activités. Nestlé apporte aussi à la division sa filiale de soins cutanés pour bébés, Bübchen.

Mais l'aventure de la diversification sera de courte durée. Dès 2018, le Suisse cherche preneur pour sa division Skin Health. C'est le fonds suédois EQT qui raflera la mise en 2019. Si l'expérience n'a pas été probante au niveau opérationnel, Nestlé s'en sort plutôt bien au niveau financier : EQT paie 10,2 milliards de francs (9,4 milliards d'euros à l'époque).

Du sang neuf à tous les étages

EQT a procédé à une restructuration profonde, en particulier au niveau du management. Galderma avait toutefois entrepris de diversifier ses positions avant l'arrivée du fonds, en particulier dans le domaine des injectables esthétiques, un marché en plein essor. L'acquéreur a donc eu un terreau propice pour impulser une nouvelle dynamique. La direction opérationnelle a été confiée à Flemming Ørnskov (CEO), assisté de Thomas Dittrich (CFO). Le duo a géré l'opération Galderma chez EQT, avant de prendre les commandes. Il a une solide expérience dans la pharmacie et l'industrie. Plusieurs postes clefs (direction de la production, R&D, pilotage des divisions) ont été renouvelés en parallèle. En parallèle, des investissements conséquents ont été consacrés à la technologie et à l'accroissement des ventes en ligne.

Cetaphil
La gamme Cetaphil

Désormais, Galderma est spécialisé dans trois domaines clés de la dermatologie :

  • Injectable Aesthetics (injectables esthétiques) : avec des revenus de 2,1 Mds$ en 2023 (52% des ventes du groupe), Galderma est le deuxième fournisseur mondial dans ce domaine. Ses principales franchises sont les neuromodulateurs (Dysport, Alluzience) et les agents de comblement et biostimulateurs (Restylane, Sculptra).
  • Dermatological Skincare (soins de la peau) : cette division a généré 1,2 Md$ de revenus en 2023 (30% des ventes) et s'appuie sur la marque Cetaphil, créée après-guerre aux Etats-Unis. Elle comprend aussi Alastin, une marque premium de soins de la peau distribuée par des dermatologues.
  • Therapeutic Dermatology : le troisième pilier du groupe dégage 0,7 Md$ de chiffre d'affaires annuel (18% des ventes totales). Il se concentre sur des médicaments sur ordonnance et en vente libre pour traiter des troubles cutanés comme l'acné et la rosacée. La division développe aussi le Nemolizumab, un traitement prometteur des maladies dermatologiques.

Un acteur bien en place

Le marché aime les pure player, c’est-à-dire les entreprises qui sont focalisées sur une seule spécialité. Il les apprécie encore plus quand elles ne sont pas très nombreuses à exercer dans leur domaine de prédilection. Galderma remplit les deux critères. Autre double atout, le groupe dispose de positions solides dans les deux principaux pans de la dermatologie : le traditionnel (traitement des problèmes cutanés) et le moderne (esthétique et bien-être).

La dynamique du marché du soin de la peau est solide grâce cette fois à un triple moteur. D'une part la sensibilité accrue des consommateurs à la beauté (effet médias sociaux). D'autre part la démocratisation des traitements esthétiques et enfin l'accroissement de la base de clientèle liée à l'élargissement de la classe moyenne mondiale. Il est important de noter que cette clientèle est habituée à consacrer une partie de son budget à ces types de soins, ce qui les rend peu sensibles aux effets traditionnels du remboursement (ou du non-remboursement en l'occurrence) des systèmes de santé. Le marché de la dermatologie affiche ainsi une croissance annuelle comprise entre 6 et 9%, selon les analystes.

Restylane

L'agent de comblement Restylane

Galderma, de par sa présence ancienne dans le domaine dermatologique, possède un réseau de distribution très dense et une force de marque indéniable. C'est un atout considérable face à des acteurs moins intégrés ou plus généralistes, mais aussi pour la vente croisée. Il y a en effet de la porosité de demande entre les différentes divisions.

Enfin, la société réalise 48% de ses revenus aux Etats-Unis, ce qui lui garantit une large exposition à un marché très dynamique (elle publie d'ailleurs en dollars).

Cher, mais pas injustifié

Il résulte de ce qui précède que le dossier est généreusement valorisé. Toutefois, si l'on retire la narration dithyrambique et le lustrage des comptes propres à toute introduction en bourse, Galderma conserve un atout crédible : son plan d'affaires, qui va permettre de raboter assez rapidement les multiples de valorisation, avec une visibilité correcte. Le groupe prévoit de dégager plus de 10% de croissance annuelle de ses revenus sur les quatre prochaines années. Les efforts de rationalisation déployés depuis l'arrivée d'EQT au capital doivent garantir une marge opérationnelle durablement supérieure à 20% et en légère ascension constante.

En 2026, les analystes prévoient un chiffre d'affaires de 5,67 Mds$, un Ebitda de 1,43 Md$ et un profit cash de 674 M$, ce qui placerait la société à des multiples EV/EBITDA de 14 fois et de bénéfices de 27 fois sur la base de la capitalisation actuelle. Ces multiples sont bien supérieurs à ceux des grands laboratoires pharmaceutiques, mais ne souffrent pas de la comparaison avec les acteurs présents dans des spécialités thérapeutiques ou therapeutico-esthétiques (Align, Sonova…), ni avec ceux qui officient dans le domaine de la beauté grand public (L'Oréal, Beiersdorf…). Nous verrons un peu plus bas que le groupe possède un actif qui pourrait renforcer son attractivité à terme, et un second qui offre de belles perspectives.

Les produits haut de gamme Alastin
Une partie de la gamme Alastin

La trajectoire des résultats semble bien maîtrisée, mais il ne faut pas négliger quelques vents contraires. D'abord, la société est soumise aux variations de change, dans la mesure où ses revenus en dollars sont supérieurs à ses coûts en dollars. Ce n'est pas un problème très grave, mais il existe. Plus ennuyeux, la dette est relativement conséquente et son coût est élevé, surtout par rapport au secteur de la santé, qui a l'habitude de faire jouer ses muscles défensifs pour se financer à bas coûts. La bonne nouvelle, c'est que la solide génération de trésorerie va rapidement améliorer la situation. En attendant, Galderma a probablement une puissance de feu plus réduite que ses homologues à consacrer à la croissance externe ou à la rémunération de ses actionnaires. Dernier point, plus technique : EQT détient toujours 77% du capital et n'a pas vocation à rester ad vitam aeternam. On sait que les placements de titres provoquent généralement quelques trous d'air liés à l'absorption du papier.

Passons maintenant à un paragraphe bonus, qui aborde deux opportunités intéressantes pour l'entreprise.

Deux game changers ? Nemolizumab et anti-anti-obésité

Galderma possède une carte maîtresse pour l'avenir : le Nemolizumab (Nemo, pour les intimes). Cette licence acquise auprès de Chugai (hors Japon et Taïwan) porte sur un anticorps monoclonal efficace sur certaines maladies dermatologiques (dermatite atopique, prurigo). Une autorisation de mise sur le marché a déjà été accordée en 2022 au Japon au licencié local de Chugai, Maruho. Galderma a déposé des demandes pour les deux indications aux Etats-Unis et en Europe, pour une commercialisation prévue début 2025. Les analystes estiment que le Nemo est un potentiel blockbuster, car il présente des spécificités qui lui permettront d'exister face aux stars du secteur comme le Dupixent de Sanofi. Le management s'est montré relativement confiant sur l'AMM. Il a aussi balayé les doutes de certains analystes sur sa capacité à commercialiser un produit biologique (et pas une simple crème, pour parler trivialement), en rappelant que sa force de vente est puissante et habituée à s'adresser à une clientèle médicale. Nota bene : la société communique séparément les coûts liés à Nemo, en considérant qu'il s'agit d'un actif qui nécessitera un investissement considérable dans un premier temps, s'il venait à être lancé. 

Il existe un autre relais de croissance, encore embryonnaire mais possiblement puissant. Galderma a lancé des essais visant à déterminer si une combinaison de ses produits Sculptra (biosimulateur) et de Restylane (produit de comblement) est en mesure de réduire certains des effets subis par les patients traités avec les médicaments anti-obésité GLP-1, comme le relâchement et le vieillissement prématuré de la peau du visage. A suivre évidemment, vu le développement impressionnant de ce marché. 

En quelques mots...

Points forts

  • Un acteur unique de la peau, exposé à l'esthétique et à la thérapeutique
  • Un marché adressable en croissance constante et solide
  • Une reprise en mains réussie, construite sur un management expérimenté
  • Trop de gens avec des peaux parfaites sur les présentations

Points faibles

  • La valorisation
  • Le coût de la dette
  • Un actionnaire majoritaire qui n'a pas vocation à rester au capital
  • Trop de gens avec des peaux parfaites sur les présentations